ALTER'COOP - Accompagner le développement d'une Humanité 3.0
Entretien avec Christine Marsan
Christine Marsan est la fondatrice d’Alter’Coop une association qui a pour vocation d’accompagner en profondeur les transformations de notre société en prenant soin des liens entre les personnes et avec le vivant. Son dernier essai "Délicate transition” est paru chez ACATL en 2017.
→ Entretien disponible en podcast audio
Comment est née Alter’Coop ?
Pour répondre à votre question, je dois d'abord partager un peu de mon histoire personnelle. Depuis mon enfance, une interrogation sur la nature humaine m'a toujours habitée, une curiosité qui constitue la première branche de mon ADN symbolique.
Cette interrogation s'est intensifiée lors de la découverte, à l'adolescence, d'un film « Nuit et brouillard » sur la Shoah. Ce film n'a pas seulement marqué mon esprit, jeune, mais a également influencé l'orientation de mes actions jusqu’à, aujourd’hui, les développements au sein d'Alter’Coop. Je me suis demandé : comment embrasser les dualités de notre nature, choisir un chemin qui nous oriente vers la paix plutôt que vers le conflit ? Cela m'a conduite à des recherches, des pratiques et finalement des ouvrages pour rendre compte de l'agressivité, des violences et des conflits humains. Et surtout, cela m’a questionnée sur les modalités de contribuer à co-créer un monde pacifié.
Le deuxième axe de mon ADN est la prise de conscience que le passage de la violence à la paix n'est ni spontané ni rapide ; il s'agit d'un processus complexe de changement et de transformation. Ce qui m'a amenée à explorer les modalités du changement, tant sur le plan individuel que collectif, à travers des organisations ou de la société. Comment ça marche ? Quels sont les rouages? Les freins ? Les modalités de dépassement et aussi les enseignements à tirer lorsque le ralentissement vient nous renseigner sur la maturité de l’individu ou de l’organisation à se transformer.
Le troisième et dernier axe de mon ADN symbolique découle d’une révélation. J’ai compris de mon chemin de vie que ma vocation consiste à aider les personnes à être des Hommes et des Femmes Debout, c’est-à-dire libres. Il n’existe pas de plus beau cadeau que de voir les personnes se redresser, déployer leurs talents et rayonner leur singularité. Ainsi, Alter’Coop est l’incarnation de cette mission, une association fondée sur des pédagogies de transformation qui prennent en compte le changement dans un contexte évolutif et la possibilité d’influencer notre propre nature.
Au fil du temps, j’ai observé de nombreux acteurs s’emparer d’outils et méthodes de l’intelligence collective sans pour autant observer un changement significatif ou pérenne. J’ai ainsi réalisé qu’il manquait une composante essentielle à la coopération : les racines profondes de l’engagement. Dans notre société occidentale marquée par l’individualisme, apprendre rapidement ne suffit pas à modifier les comportements de manière durable.
C’est dans cette optique qu’Alter’Coop a été conçu, avec l’ambition de proposer une pédagogie transformative. L’objectif est que les personnes ressortent profondément transformées, en termes de compréhension des enjeux de la coopération et de comportement à manifester l’entraide, le soutien et l’intelligence collective. En 2018, le programme a été déployé au travers de sept modules, animés par trente-cinq intervenants répartis sur six territoires, invitant les participants à un voyage à travers la coopération, pour voir s'ils en émergent métamorphosés.
Quand ont commencé les activités d’Alter’Coop ?
La genèse d'Alter’Coop remonte à 2017, une année charnière qui a semé les graines de ce projet innovant. Notre première concrétisation a eu lieu en 2018, et nous avons poursuivi notre élan en 2019.
Puis, comme tant d'autres, nous avons été confrontés aux défis de la crise sanitaire et des confinements. Ces circonstances ont mis à l'épreuve notre capacité à poursuivre notre mission, qui reposait essentiellement sur des rencontres en présentiel et sur le partage d'expériences sur divers territoires. Face à l'adversité, comme tout le monde, nous avons dû nous réinventer. Cela nous a conduits à réévaluer notre programme Transform’Acteur, l'une des initiatives d'Alter’Coop, pour adapter nos méthodes au distanciel, tout en conservant l'essence de notre démarche pédagogique.
Nous avons donc développé une série d'activités à distance, ateliers (deux mois d’ateliers tous les jours pour le premier confinement, réalisés en équipe et offerts), webinaires, conférences. Nous avons aussi transformé les deux premiers modules de Transform’Acteur en distanciel. Ceci en créant un « suspense » autour des derniers modules - un désir de rencontre - que nous espérions pouvoir tenir en présentiel. Profitant d'une accalmie entre deux confinements, nous avons saisi l'occasion pour réunir les gens, répondant à leur besoin profond de connexion et d'échange.
Depuis, nous sommes revenus à une approche entièrement présentielle, cherchant à recréer et à renforcer les liens, une dynamique essentielle qui ne se reproduit pas avec la même intensité dans un environnement virtuel.
Pourquoi être physiquement ensemble est-il essentiel ? Tous nos sens sont mobilisés et cela facilite l’établissement de la confiance, condition de sécurité pour des échanges profonds, qui facilitent les émergences de créativité.
Quant à la structure juridique d'Alter’Coop, c'est une association, choisie délibérément pour conserver un esprit de coopération et de service. Bien que nous ne soyons pas encore reconnus d'utilité publique - nous aspirons à le devenir un jour- notre structure associative nous permet de rester un laboratoire d'idées et de pratiques, où l'initiative individuelle s'entremêle avec la collaboration collective.
Le succès d'Alter’Coop a donné naissance à une communauté partageant nos valeurs et nos ambitions. Une seconde communauté émerge avec Transform’Acteur, où les membres s'emparent de projets et apportent leur contribution de manière autonome. Cela marque une transition joyeuse pour moi, passant d'un rôle d’initiatrice à une position « parmi d'autres », parfois même en retrait, pour laisser la communauté prendre son essor.
En somme, Alter’Coop est animée par ses adhérents, participants et bénévoles, formant une entité vivante et évolutive, reflet d'une coopération authentique.
Qui sont les personnes qui évoluent au sein d’Alter’Coop?
Au sein d'Alter’Coop, nous distinguons deux groupes : les participants et ceux qui, inspirés par leur expérience, aspirent à s'investir davantage. Jusqu'à présent, les intervenants ont été sélectionnés pour leur expertise et la pertinence de leur contenu. Nos participants, eux, viennent d'horizons divers, comprenant quelques psychologues, coachs, et consultants, bien que leur nombre reste limité.
La majorité de notre public est issue de l'économie sociale et solidaire (ESS), ainsi que de différents niveaux de la fonction publique. Nous comptons aussi parmi nous des directeurs, des managers de structures étatiques, d’agences de l’État et aussi de nombreux professionnels du secteur privé. Le dénominateur commun de toutes ces personnes est leur rôle en tant qu'acteurs de transformation. Par exemple, dans le cadre de notre programme Transform’Acteur, nous accueillons des facilitateurs, des chefs de projet, des chargés de mission désireux d'approfondir leur pratique d’accompagnement pérenne des transitions.
Bien que nous soyons ouverts à tous, notre accompagnement s'adresse plus efficacement à des personnes ayant déjà une certaine expérience. Pour les débutants, nécessitant une maîtrise des outils de base, ils pourraient trouver notre approche axée sur les "architectures invisibles" – ce qui se trouve sous la surface des processus et des méthodologies – quelque peu avancée. Nos participants ont souvent besoin d'avoir déjà rencontré des obstacles, d'avoir "buté contre des murs" ou de s'être "pris les pieds dans le tapis", pour réaliser que les solutions toutes faites ne sont pas infaillibles et chercher à comprendre pourquoi, comme à comprendre dans quel contexte ils interviennent.
Parmi ceux qui ont participé à nos activités, certains sont stimulés par l'envie de s'engager davantage et de prendre en main certains projets. Ils partagent des profils similaires à nos participants habituels, avec des expériences dans l'ESS, l'humanitaire, le social, la solidarité, la transformation et d'autres domaines alternatifs. Les consultants sont également présents, bien qu'en minorité.
Le but d’Alter’Coop est d'évoluer vers une gouvernance la plus partagée possible, un processus qui demande du temps pour que chacun se sente pleinement en confiance et à l'aise. L'avantage que nous avons est de pouvoir compter sur des personnes réellement engagées, ce qui est précieux dans une époque où l'engagement peut être éphémère. Si les gens choisissent de rester, c'est parce qu'ils perçoivent la valeur et la puissance du lien qui nous unit.
Comment s'articule un parcours Transform’Acteur ?
Il est essentiel que notre approche se reflète dans nos actions, ce qui est incarné par le mémoire de fin de cursus Transform’Acteur. Ce travail de réflexion permet aux participants de s'approprier les enseignements reçus lors des modules en les appliquant à des problématiques professionnelles concrètes, en nourrissant leur réflexion et en renforçant leur argumentation. Un des mémoires, par exemple, se penche sur le rapport au temps, l'accompagnement, la transformation et la transition, sujets au cœur de notre démarche.
Notre méthodologie d'accompagnement s'inspire de mon expérience antérieure en tant que directrice de mémoire pour un DU de coaching à Paris 8, où j'avais déjà commencé à sortir des sentiers battus. Je proposais un accompagnement qui dépassait le cadre formel, mixant contenu théorique, supervision, coaching et aide à l'écriture, veillant à ce que la compréhension des concepts et la clarté de la pratique soient assurées.
Avec la liberté offerte par Alter’Coop, moins soumis aux contraintes d'un établissement universitaire, nous avons adopté une formule plus organique. Elle conserve la structure traditionnelle d'un mémoire – sujet, problématique, ancrage théorique et expérimentation – mais est enrichie par des sessions de supervision collective. Lors de ces rencontres, nous abordons chaque travail de mémoire pour identifier les réussites, les échecs et les difficultés. Cette résonance, qui s'opère dans les deux sens, permet d'approfondir les sujets de fond.
Par exemple, concernant la question du temps, qu'il soit court ou long, le mémoire qui traite ce sujet nous a conduits à revisiter un modèle théorique pour comprendre les écarts dans l'accompagnement au changement. Nous avons identifié un mode de performance axé sur un temps court, souvent en décalage avec le rythme humain et vivant, qui fonctionne par cycles. Cette dichotomie a pour conséquence des sorties massives de personnes d'entreprises, car ils ne supportent plus cette pression. Ceux qui évoluent vers un temps plus long, souvent après une transformation intérieure telle qu'un burn-out, ne souhaitent plus revenir à un mode de fonctionnement pressurisé.
Aujourd’hui, le défi réside dans la contradiction entre ces rythmes et les exigences de clients ancrés dans un temps de performance immédiate. Le deuxième, qui lui est consubstantiel, est la conciliation de ces dichotomies. Notre rôle consiste à travailler sur l'expérience personnelle, l'analyse des situations et l'intégration de cadres théoriques pour éclairer ces contradictions. Le but est de trouver des points de rencontre et le langage pour dialoguer entre un monde qui exige des résultats immédiats et un autre qui reconnaît la nécessité d'un temps plus long pour la rencontre et l'échange véritable.
Notre laboratoire vivant nous engage, tous, dans une évolution organique où l'on se laisse façonner par l'expérience. Ce fonctionnement est plus difficile à saisir pour ceux qui veulent un programme défini, car si nous pouvons proposer un cadre sécure, l'essentiel de notre travail se déroule dans l'instant, souvent avec une puissance transformative plus grande que celle obtenue par les processus rapides, mais superficiels. Nous sommes souvent émerveillés par la somme des synchronicités qui façonnent notre travail coopératif. Nous sommes bien conscients de l’ancrage de nos apprentissages dans la dynamique du vivant, c’est-à-dire alignés avec les inspirations de la Source.
Nous constatons que prendre le temps de s'engager dans un processus profond, même sur une courte période, comme nos modules de trois jours, conduit à des changements durables et à des actions conséquentes. Il est fascinant d'observer cette dynamique entre un temps efficace et un temps de qualité profonde, qui ne devraient pas être opposés, mais envisagés ensemble, pour tisser un nouveau paradigme du temps dans le travail et la transformation personnelle. Car ils ont des logiques différentes et lorsque l’on objective le temps passé dans les deux cas, le fonctionnement est plus efficace et rapide. Il ne tient qu’à nous de le démontrer. C’est en cours.
Comment définissez-vous l'Humanité 3.0 présentée par Alter’Coop ?
À Palo Alto, la réflexion sur notre incapacité à gérer la complexité de notre époque est déjà bien avancée. Contemporains d’une complexité à laquelle nous ne sommes plus adaptés, la réponse qui reçoit le plus d’investissements financiers, de recherche et de moyens humains est le transhumanisme. Avec Elon Musk comme figure de proue, ils proposent la solution : hybridation de l'humain avec la machine. Loin de cet horizon, nous avons choisi une autre voie.
Notre postulat est simple : si nous avons « créé » cette complexité, nous possédons intrinsèquement les ressources pour la gérer. Mon approche consiste à explorer ces ressources. Cela n'exclut pas une forme d'hybridation, non physique cette fois, mais comportementale, dans notre manière d'intégrer et d'associer l'intelligence artificielle à nos activités.
Nous nous sommes donné pour mission de développer ces ressources de manière consciente. Qu'avons-nous besoin de cultiver pour naviguer dans ce nouveau paysage sans pour autant renoncer à notre essence humaine ? C'est là que réside notre interrogation fondamentale sur l'humanité. Dans les futurs podcasts, je reviendrai sur la question « Quel avenir pour l'humanité ? » qui sera centrale à nos discussions.
Le projet Humanité 3.0 explore cette voie alternative à l'hybridation mécanique. Nous ne cherchons pas à régresser, mais à valoriser et à amplifier nos capacités. Dans cet esprit, nous avons décidé de nous concentrer sur le développement de 18 formes d'intelligences simultanément, en s'appuyant d’une part, sur les neuf types définis par Howard Gardner et en ajoutant neuf autres de notre conception. L'objectif est de découvrir ce qui se passe quand on stimule ces différentes formes d'intelligences, même celles pour lesquelles nous ne sommes pas naturellement doués.
Prenons l'exemple de l'intelligence kinesthésique, qui englobe des compétences aussi diverses que la réparation d’objets, le massage, les arts ou la construction de précision d’une maquette de train, par exemple. Un artisan n’est pas forcément un artiste, et un masseur peut ne pas être habile en bricolage. Chaque intelligence comporte une multitude de sous-catégories, et en les développant, nous pourrions déclencher des transformations inattendues aussi bien cognitives, qu’émotionnelles et sociales.
L'idée est de progresser dans chaque domaine, même ceux dans lesquels nous nous sentons maladroits ou qui ne nous intéressent pas à première vue, et qui peuvent nous conduire vers des évolutions insoupçonnées. En expérimentant l’amélioration pratique de ces intelligences, même de manière modeste, nous pourrions stimuler des régions du cerveau de façon imprévue et bénéfique.
Nous voulons aussi associer des universitaires à cette démarche pour observer et analyser les effets de ces stimulations sur le cerveau. Prenons une illustration, l'intelligence spatiale, par exemple, est modifiée par l'usage systématique des GPS qui nous donnent des instructions précises en 2D et compromettent notre capacité à appréhender l'espace dans sa globalité. Nous pouvons aujourd’hui vérifier l’hypothèse que cela pourrait affecter non seulement notre mémoire, mais aussi notre capacité à avoir une vision stratégique globale.
Il ne s'agit donc pas de rejeter les outils technologiques comme Waze, mais de les utiliser avec discernement, en prenant soin de ne pas perdre nos compétences spatiales tout en cherchant à en développer de nouvelles. Voilà le type de questionnements et d'expérimentations que nous menons dans Humanité 3.0.
Entre transhumanisme et hybridation des comportements n’existe-t-il pas d’autres voies comme celle du refus complet de la technologie ?
Dans le panorama actuel, nous observons différents courants qui façonnent notre humanité. Il y a ceux qui ont choisi la décroissance, un chemin qui mérite notre attention. Si on devait cartographier ces courants, nous aurions trois principaux groupes à observer, sans oublier le quatrième, constitué par ceux qui, indifférents aux changements, continuent leur consommation habituelle, alimentant ainsi les grandes marques. Ces quatre segments (transhumanisme, hybridation comportements numériques et développement de conscience, ceux qui continuent « as usual » et ceux qui rejettent totalement le monde numérique) pourraient représenter un échantillonnage de l'humanité à étudier.
Je me questionne notamment sur les descendants de ceux qui ont décidé de se couper du monde technologique. Bien que je me sente plus à l'aise dans la nature, loin des technologies, je me demande quel avenir attend les enfants et petits-enfants de ces personnes. Il y a un risque qu'ils deviennent de plus en plus déconnectés du reste du monde. C'est un choix pour les parents, mais quelles en seront les conséquences pour les générations suivantes ?
Prenons l'exemple des familles qui, par respect de la laïcité, ont choisi de ne pas transmettre d'éducation religieuse. Leurs enfants se trouvent souvent démunis à choisir une voie spirituelle ou religieuse par manque de connaissances des traditions religieuses et spirituelles, incapables de se positionner sur ces questions, même s'ils ressentent une attirance spirituelle. Cela pourrait être analogue pour les enfants de ceux qui se sont volontairement isolés : peut-être développeront-ils des compétences semblables à celles des peuples premiers, mais seront-ils préparés à interagir avec le reste du monde ? Et comment décider pour eux, de ces privations ? Sans oublier un autre phénomène, avec l’exemple religieux, souvent coupé de toute racine sur un aspect culturel, le risque est l’adhésion à des modèles plus binaires et souvent régressifs.
La connaissance est la sœur jumelle de la conscience.
Ce n'est pas un problème tant qu'il n'y a pas besoin d'interaction, mais si une interface devient nécessaire, quelles en seront les implications? Je n'apporte pas de jugement sur cette situation, je soulève simplement une interrogation : quelle forme prendra notre humanité dans 40 ans ? Face à ces différents groupes – transhumanistes, hybrides pratiques, rejets complets et masse indifférente – que nous réserve l'avenir ? C'est un sujet fascinant pour l'imaginaire et, d’ailleurs, nous travaillons aussi sur ces questions.
Quelle est la place de l’évolution de la conscience dans l’Humanité 3.0 ?
Lorsque j'évoque les 18 formes d'intelligence, je fais référence, en premier lieu, aux neuf formes reconnues par Howard Gardner, qui s'alignent sur nos compétences traditionnelles. J'ai introduit neuf intelligences supplémentaires, que l’on peut qualifier d’intelligences de la conscience, telles que l'intelligence de justesse, de présence, de reliance, et d'autres. Le principe consiste à exploiter nos capacités immédiatement accessibles tout en cherchant à élever notre niveau de conscience. Humanité 3.0 est, pour moi, synonyme de cette élévation.
Avec ce projet, nous sommes confrontés à quatre défis majeurs. Le premier est d'aider les individus à élever leur niveau de conscience, un objectif déjà poursuivi par de nombreuses initiatives. Le deuxième est de pérenniser ce niveau de conscience élevé, ce qui est bien plus complexe. Nombreux sont ceux qui vivent des expériences transformatrices lors d'ateliers ou de retraites, mais retrouvent ensuite les contraintes du quotidien et perdent ces acquis. Il faut donc trouver comment maintenir durablement ces avancées sans recourir à des décennies de discipline spirituelle, ce qui est peu réaliste au regard des enjeux actuels.
Le troisième défi est de généraliser ces pratiques, de les rendre accessibles à grande échelle. Aujourd'hui, le principe de passage à l’échelle s’effectue principalement par la diffusion numérique, ce qui risque de conduire à des changements superficiels, alors que nous cherchons une transformation profonde. Il est crucial de trouver comment allier profondeur et diffusion de masse.
Le quatrième et dernier défi est l'inclusivité. Dans mon environnement, en France, je remarque que les démarches de développement personnel et spirituel attirent principalement une certaine catégorie socio-professionnelle. Il y a un manque de diversité, non seulement en termes d'origine ethnique, mais aussi de classes sociales. Nous devons nous demander si nous sommes capables d'intégrer ceux qui sont souvent marginalisés ou en difficulté, comme les personnes en situation de pauvreté, de handicap, et d'autres groupes vulnérables. Notre objectif doit être d'embarquer tout le monde dans cette transformation.
Une fois que nous aurons relevé ces quatre défis, nous pourrons dire que nous avons réalisé quelque chose d'important.
Quels sont vos projets à venir ?
Humanité 3.0 est un projet de longue haleine qui nous passionne. Notre objectif avec Transform’Acteur est d'étendre notre portée, en touchant davantage de personnes pour maximiser notre impact. Nous avons déjà réussi à approfondir le parcours, et maintenant, nous voulons l'élargir.
Nous aspirons également à déployer notre laboratoire Humanité 3.0, qui propose des journées-ateliers, en trouvant des partenaires prêts à s'engager avec nous dans un cursus de 18 mois pour vivre cette aventure. Nous sommes convaincus qu'il existe des personnes désireuses de ce changement, qui se demandent comment y parvenir. Je suis pleinement engagée dans cette démarche, confiante dans le succès des pédagogies de transformation que j'ai précédemment initiées, et par conséquent, ce projet dépasse l'horizon de 2024.
Nous travaillons sur des initiatives variées : des journées consacrées aux imaginaires, des cursus en développement et nous souhaitons cette année aller plus loin avec ceux qui se sont saisis de ces différents projets. Nous voulons cultiver cette communauté de personnes qui reconnaissent la valeur de ce que nous portons et qui souhaitent la soutenir et l’enrichir de leur contribution.
Parmi les projets en cours, nous développons une fresque des principes du vivant et un jeu sur les guérisons des blessures collectives. Ces initiatives donneront naissance à différents formats pour toucher le grand public. Jusqu'à présent, nos tentatives de toucher un large public se sont heurtées à la remarque que c'est « trop dense ». Notre défi est donc de créer quelque chose qui s’appuie sur le partage de la complexité pour rester fidèle à notre démarche, tout en étant suffisamment simple et attrayant pour ceux qui ne souhaitent ou ne peuvent pas s'engager dans un processus long et exigeant. Nous sommes déterminés à relever ce défi et à trouver un moyen de rencontrer le grand public.
Comment se manifeste cette évolution vers une Humanité 3.0 dans le quotidien ?
Dans notre groupe, certains sont passionnés par l'idée de travailler avec les enfants et se lancent déjà dans des expérimentations, même avant la fin du bêta-test. D'autres envisagent d'appliquer nos méthodes avec les parents ou dans le contexte des entreprises. Il y a même ceux qui sont curieux de voir les effets de nos approches en milieu carcéral. Cette diversité d'applications est fascinante : elle montre que, même si le début peut sembler modeste, il est préférable de construire une base solide et durable avant de s'étendre plus largement.
Une bénévole de notre groupe, par exemple, est impatiente de tester ces outils avec son adolescent, cherchant des moyens de le motiver à se détacher de sa tablette. Cela souligne un mot que tu as utilisé et qui me paraît crucial, surtout à notre époque anxiogène : la "distraction". La distraction peut impliquer une défragmentation, un éloignement de l'essentiel. Elle nous incite à nous occuper ailleurs, alors qu'en réalité, nous devrions nous concentrer davantage sur notre quête d'unité. Cette unité est enrichissante et peut être trouvée en nous-mêmes, pas seulement dans des lieux lointains comme Hawaii, ce qui est en outre meilleur pour la planète.
Notre société de consommation nous a transformés en hamsters dans une roue, nous poussant à produire et à agir jusqu'à l'épuisement, avant de chercher un répit dans les voyages, pour ensuite recommencer le cycle. Mais est-ce que cela nous rend sereins, comblés, moins sensibles à l'anxiété extérieure ? Au lieu de cela, ne devrions-nous pas nous demander ce que nous pouvons faire, quelle petite part nous pouvons prendre, à l'instar du colibri, pour améliorer les choses ?
L'anxiété vient de la peur que l'humanité disparaisse, mais cela n'est pas une révélation – nous sommes mortels - et c'est une réalité incontestable. Ce que nous voulons éviter, c'est la souffrance associée à cette prise de conscience. La biodiversité, elle, continuera à prospérer et la Terre à respirer, avec ou sans nous. L'important, c'est de trouver comment nous pouvons co-exister en harmonie avec le vivant, avec le réel, et retrouver une unité qui nous permette de vivre sereinement, indépendamment des aléas du destin.
Comment des régions comme l’Asie et l’Afrique vivent-elles l’accélération numérique ?
La mention de l'Asie est pertinente, car elle illustre parfaitement le virage numérique de notre époque, notamment au Japon, en Chine et en Inde. Ces nations subissent une transition significative, qui peut sembler les éloigner de leurs racines spirituelles profondément ancrées dans l'unité. Néanmoins, je suis convaincue qu'elles se réinventeront, trouvant des moyens de fusionner leurs traditions avec les nouvelles technologies, sans perdre leur essence culturelle et spirituelle. Même si elles semblent s'en détacher, ces racines ressurgissent, comme on le voit au Japon où l'association de la tradition et de la modernité est particulièrement frappante.
Concernant l'Afrique, elle est moins impliquée dans cette course vers le numérique, quoi que cela change également. Les Africains nous rappellent, peut-être, l'importance de revenir à l'essentiel, aux fondamentaux de la vie. C'est peut-être dans cette simplicité essentielle que nous trouvons la nécessité de nous reconnecter à ce qui est véritablement crucial : le développement des talents et la reconnaissance que, tout en créant des merveilles, nous avons aussi engendré des tragédies. Cela nous incite à revenir à la quintessence, tant au niveau individuel qu'en relation avec autrui.
Un mot de la fin pour conclure cette entrevue ?
Nous nous inspirons de la vision de Teilhard de Chardin, cherchant à concrétiser cette Noosphère, cette sphère de la pensée humaine, par nos actions et nos créations. C'est un processus joyeux et stimulant, rendu possible grâce à l'engagement de personnes qui, comme toi, établissent des connexions et rassemblent des individus autour de cette aspiration commune à façonner le monde de demain.
Donc, un grand merci pour ce que tu fais.
Propos recueillis le 8.02.2024
Un défi strictement humain long, très difficile et pour quelle fin ? En tous les cas, courageux et digne. Bonne Aventure.