Georges Dhers, docteur en économie, militant actif dans des associations qui prônent les valeurs humanistes (comme le Pacte Civique) et les démarches locales de transition (comme l'Université Populaire Edgar Morin pour la Métamorphose et CIVIPEDIA) intervient à l'Université Toulouse Capitole où il a cocréé avec Pascal Roggero le DU de formation continue Conduire et animer la transition des territoires.
Il a créé et expérimenté des ingénieries de communication qui facilitent l'émergence des liens créatifs entre personnes; celles-ci s'auto-organisent ensuite rapidement sous forme de groupes d'entraide créative et de groupes projet qui construisent sur le terrain des activités utiles pour tous.
Il veut aujourd'hui former les animateurs-développeurs-catalyseurs qui vont faire émerger ces nouvelles dynamiques citoyennes créatives porteuses de transition sociétale.
"Le pouvoir d’agir des citoyens” paru chez Chronique Sociale en 2019 est son dernier livre.
Quel a été votre déclencheur pour l’écriture de ce livre ?
L'impulsion première de mon parcours vient de la conjugaison de multiples facteurs. Au cœur de ces derniers réside l'altruisme, l'essence même du don de soi, et du service rendu aux autres.
Cette générosité se manifeste lorsque je partage les connaissances qui m'ont permis de renforcer mon propre pouvoir d'action. Mon expérience sert d'exemple, avec l'espoir qu'elle soit contagieuse, en illustrant un modèle de comportement authentique et vécu. C'est la valeur de l'exemple qui est cruciale ici, l'importance de sa capacité à se propager par sa vérité.
En parallèle, les références que je cite ne sont pas universellement connues. Pendant trente ans, guidé par mon intuition, j'ai exploré et découvert des auteurs éminents dans des domaines variés : les sciences humaines et sociales, les spiritualités de l'Orient à l'Occident. Bien sûr, certaines voies n'ont pas été explorées, mais mon regard s'est voulu le plus large possible.
Dans un mouvement de recherche-action, j'ai conçu et testé des ateliers de communication créative dans divers contextes, qu'ils soient publics, privés ou associatifs. Cela m'a fourni des preuves tangibles et des résultats sur le terrain. J'avais donc en main une vision holistique pour communiquer : la théorie, la pratique, les motivations et le parcours personnel.
Le moment était donc venu. Tous les signaux étaient au vert pour moi : il était temps d'écrire et de partager mon savoir.
Qui sont les citoyens acteurs-créateurs ?
La montée en puissance des citoyens en tant qu'acteurs et créateurs de changement est un phénomène mondial. Bénédicte Manier a illustré cette dynamique dans son ouvrage de 2012, "Un million de révolutions tranquilles". Elle y dépeint des citoyens ordinaires, parfois de modestes paysans, qui deviennent agents de transformation sociétale.
Un exemple éloquent est celui d'un paysan indien très pauvre qui a réintroduit la construction de grandes retenues d’eau en terre pour collecter l'eau de pluie comme faisaient leurs ancêtres quelques centaines d’années avant, assurant ainsi une réserve pour les mois d'été. Son initiative, bien que d'abord raillée, s'est avérée efficace et a inspiré beaucoup d'autres pour suivre son exemple, démontrant le pouvoir de l'initiative individuelle, du courage, et de la persévérance.
Ce paysan incarne le pionnier, souvent sujet aux critiques et moqueries, mais animé par des motivations intrinsèques puissantes. Les psychologues ont prouvé la force de ce type de motivations qui permettent aux individus de persévérer jusqu'à l'accomplissement de leurs objectifs, indépendamment des obstacles. Parfois, même la reconnaissance de leur action bénéfique arrive après leur mort.
Le livre souligne les découvertes de psychologues humanistes, principalement anglo-saxons du XXe siècle, comme Carl Rogers, qui ont mis en évidence l'importance des groupes de parole pour atteindre un niveau de communication rarement possible dans la vie professionnelle ou personnelle. Ces petits groupes favorisent l'expression libre, la confiance, l'entraide et la créativité.
Personnellement, ma propre résilience s'est forgée dans de tels groupes. En fin d’adolescence j'ai trouvé un cercle de poésie qui m'a permis de partager mes écrits et de renouer avec la confiance en moi, ce qui a marqué le début de ma résilience et ma renaissance personnelle.
Plus tard, en tant que cadre supérieur chez France Télécom, je me suis beaucoup ennuyé jusqu'à ce que je découvre la satisfaction professionnelle à travers l'animation de formations en communication. Cela a confirmé ma conviction que des motivations profondes sont essentielles pour grandir et être utiles à autrui.
Les psychologues humanistes et les philosophes de l'altérité ont mis en lumière l’apport immense de la reconnaissance mutuelle de la réciprocité et de la prise de conscience partagée pour le développement de la personne (cf. les ouvrages de Emmanuel Lévinas et de Paul Ricoeur). La communication-reliance, un concept encore plus récent, suggère que même les personnes profondément handicapées peuvent communiquer et être reconnues via l’intuition qui est une faculté de la conscience.
Cela rejoint la vision du philosophe indien Sri Aurobindo sur le supramental, qui intègre le mental, le cœur et l'intuition. Contrairement à la pensée occidentale traditionnellement rationnelle et cloisonnée, le supramental favorise une vision holistique, révélant les connexions cachées qui permettent d'agir de manière plus cohérente et efficace.
En résumé, et pour revenir à votre question initiale, le livre met en lumière la capacité innée et profondément humaine de surmonter les défis, de se connecter avec les autres et de créer des changements significatifs dans le monde, une révolution tranquille, mais puissante à la fois.
Quelles ingénieries facilitent la métamorphose ?
Les ateliers en petits groupes révèlent des dynamiques profondes, comme l'a montré René Kaes un spécialiste de l'inconscient collectif au sein des groupes. Ces dynamiques sont comparables à celles d'une famille : dès notre naissance, nous sommes intégrés dans un petit groupe où se jouent des interactions significatives.
J'ai personnellement vécu une expérience intense de petits groupes avec un professeur d'arts martiaux indien Sri Dinesh formé dans l'Ashram de Sri Aurobindo, et récemment honoré dans un collège d’Oxford du « Nelson Mandela Leadership Award ». Il a formé de nombreux dirigeants des fédérations internationales d’art martiaux qui l’avaient nommé « GM professeur docteur dans la philosophie et les sciences des arts martiaux »; il avait créé la méthode Gatichi qui signifie "ambiance consciente" ou "accélération consciente". Dans les groupes qu’il animait, il agissait comme un miroir pour l'élève, reflétant ouvertement ses actions et son être, souvent de manière surprenante et devant les autres membres.
Chaque participant, confronté à ce miroir, devait faire face à ses propres lacunes et incompréhensions, tant dans l'atelier que dans sa vie personnelle. C'est un processus direct ou chacun est amené à travailler sur soi et devant l’autre dans un esprit fraternel : personne n'étant parfait, chacun travaillait sur sa propre "matière" – y compris les aspects psychocorporels comme les émotions et les traumatismes passés qui remontent à la surface; mais la compréhension, la tolérance et l’entraide entre les pratiquants venaient vite en renfort pour faciliter la transformation et l’évolution de chacun.
J'ai intégré ces principes dans mes propres ateliers de communication créative, où chacun est encouragé à dévoiler ses motivations profondes, valeurs, projets, succès et échecs… L'animateur facilite et régule, mais c'est l'échange d'égal à égal qui est essentiel.
Des affinités et des complémentarités émergent, conduisant à de nouvelles collaborations ou amitiés. Parler vrai devient une opportunité de croissance personnelle offerte à tous. Cela contraste avec la culture organisationnelle typique où les gens évitent de parler d'eux-mêmes ou de leurs erreurs, par peur du regard et du jugement de l’autre; on sait très bien où ce type de comportement conduit (cf. les travaux de Chris Argyris, professeur à Harvard, sur le sujet); les dénis et les non-dits accroissent l’inconscient dans le collectif et nuisent inévitablement au fonctionnement de l'organisation, à la qualité des relations, et au développement des personnes.
Les ateliers que j’ai ainsi créés visent à la conscientisation de soi à travers l'interaction et l’entraide avec les autres, menant à un sentiment d'agir ensemble dans le monde sous forme de petits groupes (groupes d’entraide créative et groupes projets).
Ils encouragent les individus à travailler sur leurs faiblesses, à capitaliser sur leurs forces et à donner un sens à leur vie en s'engageant de manière spécifique et personnelle, ce qui est finalement bénéfique pour eux-mêmes et pour la collectivité.
La singularité est clé dans ce processus : le simple copier-coller ne mène nulle part, tandis que l'authenticité a un potentiel contagieux. Historiquement, les individus affirmant leur singularité étaient souvent perçus dans nos pays comme menaçants; en Orient, au contraire, les mystiques ont de tout temps étaient respectés et adulés; de nos jours, l’authenticité tend à redevenir une valeur appréciée et reconnue dans les démocraties.
Mon rôle en tant qu'animateur-développeur-catalyseur est de guider les autres vers une plus grande conscience de soi et de leurs responsabilités; la responsabilité est la valeur la plus universellement reconnue dans le monde, comme l’affirme Pierre Calame président de la Fondation pour le Progrès de l’Homme (FPH). Chacun doit reconnaître et assumer ses responsabilités dans le monde, car on ne peut pas échapper à sa propre conscience. Si on s'éloigne trop du chemin de sa responsabilité, des signes, notamment en termes de santé ou de relations, ne tardent pas à apparaître. Voilà le cœur de ma pratique et de ma philosophie.
Avez-vous des exemples concrets à présenter ?
Effectivement, avec mon collègue Pascal Roggero, sociologue à l’université Toulouse Capitole, nous avons collaboré avec une fédération d'éducation populaire nommée Léo Lagrange, située dans une banlieue de Toulouse. J'ai eu l'opportunité de former les animateurs de cette association aux techniques d'animation de groupes évoquées ci-dessus : une expérience qui leur a été immédiatement bénéfique. Malgré le peu de temps disponible qu’avaient ces animateurs, souvent coincées entre les cours des jeunes écoliers, elles ont eu un impact notable.
Cette formation a renforcé la confiance en soi des animateurs et a favorisé la création de liens solides entre eux, leur permettant de collaborer efficacement. L'expérience a également été partagée avec des parents d'élèves, des grands-parents, des responsables associatifs et même des responsables municipaux. Ensemble, ils ont créé un espace éducatif ouvert aux jeunes du quartier, un tiers-lieu qui a rapidement gagné en influence dans la ville. L'impact de ce lieu a été notable, comme en témoigne la vidéo d'un jeune homme exprimant comment sa participation à un groupe de parole lui a permis de trouver rapidement sa place et son utilité dans le tiers lieu.
Par ailleurs, à l'Université, au sein du Master ingénierie de la transition des territoires et du DU de formation continue « Conduire et animer la transition des territoires », nous avons mené des expériences similaires. Les étudiants, jeunes ou moins jeunes, qui y participent, découvrent les mêmes dynamiques de groupe et certains ont même réorienté leur trajectoire professionnelle et socio-professionnelle pour l'aligner avec leurs motivations profondes et talents, redonnant ainsi un sens à leur vie et à leur carrière (nous avons filmé des témoignages allant dans ce sens lors de la Nuit des idées 2023 organisée avec mes amis du Pacte Civique).
Il existe une ignorance surprenante de ces processus parmi les étudiants, qui sont souvent étonnés par l'efficacité et la rapidité de l'approche. Cela soulève des questions sur pourquoi des méthodes proches et éprouvées comme les pédagogies coopératives, courantes en Amérique du Nord depuis des décennies, ne sont pas encore largement adoptées en France. Les conséquences de cette lacune se manifestent par les performances scolaires médiocres et la violence dans les écoles françaises, alors qu'il a été démontré que l'entraide et la collaboration en petits groupes peuvent améliorer les performances et réduire la violence.
Les témoignages et vidéos de ces changements chez les étudiants attestent de transformations réelles de parcours de vie et d'attitudes. Notre objectif désormais est de former des animateurs - que nous appelons des animateurs-développeurs-catalyseurs afin qu'ils puissent appliquer ces méthodes à travers les organisations publiques, privées et sociales sur tous les territoires. Cette formation plus complète nécessitera des ressources que les organisations pourront fournir, reconnaissant l'impact positif que cela peut avoir sur l'attitude de leurs membres et sur le territoire dans son ensemble.
Quel est l’impact des citoyens acteurs-créateurs sur les sociétés et les démocraties ?
Je vous remercie de me donner ainsi l'occasion de revenir sur les travaux de Hans Joas, qui, dans son livre « La créativité de l’agir », aborde la force de la créativité dans le champ de l'action humaine. Les sociologues reconnaissent depuis longtemps qu'on peut agir par intérêt, mais Joas va plus loin en explorant l'action motivée par une impulsion créative profonde, intrinsèque, désintéressée, introduisant ainsi le concept de "citoyen acteur créateur".
Il propose aussi le terme de "démocratie créative" qui va au-delà des formes représentatives ou participatives habituelles, en insistant sur la création et l'innovation citoyennes. Cela fait écho aux idées de Rob Hopkins, figure de proue des mouvements de transition, qui soutient que le changement territorial provient de l'initiative de petits groupes qui entreprennent des actions concrètes, comme la création de jardins partagés de cafés communautaires, d’écolieux …
Ce passage à l'acte créateur est fondamental. Il ne s'agit pas simplement d'exprimer une opinion ou de voter, mais d'agir de manière tangible au sein de la communauté. C'est cette "démocratie créative" qui, selon Joas, sera la clé du changement sociétal.
Amartya Sen, lauréat du prix Nobel d'économie, parle aussi de l'importance des "capabilités" dans une véritable démocratie économique, où chaque individu est soutenu pour réaliser ses projets de création d’activités. Si quelqu'un possède la motivation et la compétence, mais pas les moyens financiers pour le faire, Sen soutient qu'il doit être aidé, notamment par des microcrédits; une idée qui a d’ailleurs été mise en pratique par Muhammad Yunus avec sa Grameen Bank.
La "démocratie créative" est vue comme une réponse à la désillusion générale envers les politiques et les institutions actuelles. Tout comme les coopératives et les mutuelles ont émergé au 19e siècle, on assiste aujourd'hui à un renouveau coopératif. Joanna Macy, Arne Naess, Edgar Morin et d'autres penseurs et praticiens de la transition évoquent également cette montée en puissance d'une démocratie créative, signalant une transformation profonde dans notre façon de concevoir la participation citoyenne et l'action collective.
Pensez-vous que la mise en lien de ces initiatives organiques puisse provoquer un basculement sociétal ?
La question de la transition et de l'évolution des pratiques sociales ne se limite pas à créer des connexions ou à utiliser les réseaux sociaux. En France, certains de mes amis pensent que mettre les gens en réseau est suffisant pour induire le changement, mais je ne partage pas cette vision. La formation que j'ai reçue suggère qu'une transformation véritable nécessite bien plus, notamment une éthique partagée.
Nous devons nous pencher sur le développement des savoir-être, pas seulement des savoirs, car si le numérique permet la transmission des connaissances, les compétences comportementales et interpersonnelles nécessitent un apprentissage plus intime et en proximité, ce qui est difficilement réalisable par le biais des réseaux sociaux. L'être humain est un être social qui évolue au sein de petits groupes, dans un contact direct avec autrui.
Les mouvements de transition en France n'atteignent pas leurs objectifs en raison de l'oubli de certains principes fondamentaux. L'éthique du service et de l’utilité, pour le plus grand nombre, par exemple, est absente dans de nombreux groupes. Ce service ne doit pas se limiter au petit groupe de copains ou au territoire local, mais doit avoir la volonté de s'étendre et s’ouvrir pour influencer d'autres collectifs sur d’autres territoires.
La mise en œuvre de telles démarches est complexe. Des obstacles persistants tels que l'égoïsme, la méfiance, la rivalité, la jalousie, le calcul et le phénomène du passager clandestin ("freerider") peuvent la freiner ou l’entraver.
Sans un travail sur soi au sein de ces collectifs, les projets ne parviennent pas à la maturité qui permet une extension de leur service. Cela est illustré par le mouvement des Colibris en France, qui a identifié environ 2000 oasis, dont 90% n'ont pas réussi à concrétiser pleinement leurs projets en raison de problématiques liées à l'ego.
Ce constat nous ramène à l'importance du travail sur soi au sein des collectifs comme fondement essentiel d'une transformation sociale durable; ce principe commence a être évoqué et soutenu par divers acteurs et chercheurs engagés dans ces démarches de transition comme par exemple le sociologue Pascal Nicolas Le Strat qui en fait même une clef des processus de recherche-action.
Comment voyez-vous l’évolution du processus de métamorphose ?
Le concept d'éducation et de formation comme vecteurs de conscientisation, tel qu'abordé par le pédagogue brésilien Paulo Freire, est central dans mon approche. Freire, reconnu internationalement et docteur honoris causa dans une quarantaine de pays, a toujours insisté sur l'importance de l'échange dans le processus d'apprentissage et de conscientisation, une notion qui se matérialise bien dans le cadre des petits groupes.
Au Brésil, cette philosophie a été mise en pratique par Adalberto de Paula Barreto universitaire qui a formé 20 000 animateurs de thérapie communautaire intervenant dans les favelas et d'autres communautés. Ces animateurs, contrairement aux consultants hautement rémunérés, travaillent avec une motivation axée sur le service, ce qui change fondamentalement la dynamique de leur engagement. Ils animent des groupes où les relations de qualité permettent aux gens de se sentir mieux et de se porter mieux.
Cette approche est souvent inspirée par une dimension spirituelle, comme chez les chrétiens de gauche en France, qui combinent un idéal social avec un idéal spirituel, et qui via les associations ATD Quart Monde, Pacte Civique et TZCLD ont permis la création de milliers d’emplois pour les chômeurs de longue durée.
En examinant l'histoire, on constate que de nombreux pionniers étaient animés par un idéal spirituel (laïque ou religieux) : comme Jean Jaurès, Martin Luther King, Nelson Mandela ou encore Pierre Rabhi.
Edgar Morin le théoricien de la pensée complexe, pensée qui relie et décloisonne les connaissances et les organisations, évoque souvent dans ses écrits le rôle de ce type de pionniers de la métamorphose : à Toulouse nous avons d’ailleurs tout récemment créé l’Université Edgar Morin pour la Métamorphose (UPEMM) où ce sont des groupes de recherche-action qui s’auto-organisent pour coconstruire leurs connaissances et leurs projets d’action.
À mon avis, les groupes qui négligent cet idéal spirituel moderne n’iront pas aussi loin que ceux qui l'intègrent. De même, les communautés qui n’engagent pas un travail sur soi au sein de leur collectif se heurteront à des limites dans leur évolution.
Pour que la transition sociétale réussisse, il est donc crucial d'intégrer ces trois éléments d'auto-développement: une éthique transformatrice qui inspire les personnes et les groupes, un engagement dans le travail sur soi au sein des groupes, et la présence d'animateurs compétents pour faciliter ce processus. Ces composantes, selon moi, seront déterminantes pour l'avenir de nos sociétés.
Assistons-nous à une accélération du processus évolutif vers une conscience collective rappelant la Noosphère ?
Il est incontestable que nous ne pouvons revenir à ce que nous étions auparavant, car, comme le soulignaient Teilhard de Chardin et Sri Aurobindo (dont a souvent comparé les recherches), l'univers est en constante évolution et nous, en tant que partie intégrante de ce cosmos, devons aussi évoluer. Ceux qui résistent à cette évolution seront inévitablement laissés pour compte.
Sur les réseaux sociaux, un phénomène intéressant se produit : de plus en plus de personnes de tous horizons partagent des images et des légendes qui, très souvent, véhiculent des messages fraternels, créatifs, de dépassement de soi, d'ouverture aux autres et même à l'infini. Ces expressions quotidiennes sont le signe d'une prise de conscience collective qui est en train de se manifester.
Sri Aurobindo et Mère parlaient de « la descente du supramental », une conscience supérieure qui s'infuse sur Terre, conférant aux humains, y compris aux plus jeunes, des capacités que l'on pourrait qualifier de "super-pouvoirs" dans le langage de la science-fiction. Ce n'est pas de la fantaisie; c'est une réalité tangible.
Les gens ressentent les dangers croissants qui menacent notre planète et comprennent que nous devons nous préparer à affronter des défis majeurs. Comme les animaux qui pressentent les changements de leur environnement, les humains ressentent un besoin urgent de réagir et d’innover pour mieux s'adapter aux nouvelles contraintes.
Face à ces défis, beaucoup se rendent compte qu'ils ne peuvent pas toujours compter sur les institutions ou les figures d'autorité pour obtenir de l'aide. Ils se tournent alors vers leurs proches, leurs amis, et surtout vers eux-mêmes, découvrant qu'ils ont en eux quelque chose d'unique pour pouvoir contribuer à la transition sociétale– que ce soit dans l'artisanat, les arts, l'enseignement, la médecine, l’entreprise, l’écologie…
Des initiatives comme celle de Cloé Bramy, cancérologue et docteur en psychologie à Montpellier, qui crée une nouvelle école de médecine holistique, ou d’un de mes amis Vincent Cabane consultant chez Airbus qui s'est formé en fasciathérapie pour mieux accompagner les organisations sont des exemples de cette transformation, ou encore d’Elisabeth Sénégas, qui voyant qu’elle ne pouvait pas faire grand-chose pour les plus vulnérables en tant que travailleur social, a créé dans Grenoble un café social ouvert à tous, ou chacun est accompagné pour trouver et construire les solutions à sa propre problématique.
Il y a un réel bouleversement en cours, mais malheureusement, les médias traditionnels ne valorisent pas suffisamment ces initiatives solidaires, constructives et créatives. Si ces initiatives étaient plus visibles, valorisées et soutenues, elles pourraient servir de catalyseurs de transition.
Mon professeur parlait d'une accélération de la transition, ce qui est possible, car la conscience opère à la vitesse de la lumière. Avec une conscience plus vaste, les êtres humains pourraient percevoir et transmettre davantage les nouvelles informations-énergies, et ainsi accélérer l'évolution collective.
Avez-vous un dernier message à adresser aux lecteurs ?
Dans notre échange, nous avons dépassé les attentes initiales, grâce à une connexion créative qui a permis l'émergence de nouvelles idées. C'est un phénomène qu’Edgar Morin explique avec le concept d'émergence, ce processus mystérieux et complexe qui reste encore incompris dans les milieux scientifiques comme dans les milieux spirituels, bien que des chercheurs comme Alain Damasio et Bruce Lipton abordent le sujet avec beaucoup de pertinence.
Sri Aurobindo a apporté une compréhension plus profonde de ce processus en l’observant et en l’expérimentant sur lui-même. La compréhension de ces phénomènes ne peut se faire à travers des instruments externes comme le microscope ou le télescope, mais plutôt à travers une introspection profonde, une "attitude consciente" qui n'est pas encore largement diffusée ou enseignée. Aurobindo n'a pas fait de prosélytisme ni de marketing pour commercialiser ses idées, mais L’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm à Paris a organisé en novembre 2022 un colloque international pour faire connaître son œuvre; c’est là aussi sans doute un signe des temps qui n’a pourtant pas beaucoup été médiatisé.
L'information cruciale pour notre temps est que chaque individu doit et peut entreprendre un travail d'auto-observation et d’autodéveloppement pour devenir plus conscient des facultés de sa conscience et donc plus conscient de ses facultés pour être utile au monde. C'est un processus personnel qui pourrait être entrepris par les huit milliards d'individus simultanément. Mais même si une petite fraction seulement, s'engageait simultanément en unité et en même temps dans ce type de travail, je crois que le basculement pourrait se produire. Des chercheurs contemporains ont évoqué ce type de processus sous le nom de « Théorie du centième singe » : un changement effectué par quelques-uns se communique instantanément à d’autres qui vivent pourtant dans un lieu fort éloigné, ce qui corrobore aussi le concept d’intrication évoqué par les physiciens quantiques.
Cette idée et cette image véhiculent à mon sens une possibilité nouvelle, bien qu’encore mystérieuse, qui pourrait donc expliquer la notion de changement rapide d’échelle et de paradigme.
Propos recueillis le 19.01.2024
"Le pouvoir d’agir des citoyens” Chronique Sociale, 2019