Aurélie Piet est économiste, enseignante, chercheuse transdisciplinaire et conférencière. Elle a publié « Quand l’Homo economicus saute à l’élastique … sans élastique » (PLON, 2019) et « 2 milliards de réenchanteurs» (Actes Sud, 2023).
Pourquoi faut-il repenser notre approche de l’économie ?
Notre approche actuelle de l'économie est défaillante. Elle ne répond pas aux défis majeurs du XXIe siècle, notamment les enjeux environnementaux et sociaux. Nous sommes enfermés dans une vision du monde dominante, très rationnelle et scientifique, qui néglige l'interdépendance avec le vivant. Il est donc crucial d'adopter une nouvelle vision du monde, plus holistique, où intuition, créativité, et approche transversale sont intégrées pour répondre à des enjeux complexes.
Quelle nouvelle approche de l’économie proposez-vous ?
Je propose une économie qui se focalise sur le bien-être et le respect de l'environnement, avec des indicateurs qualitatifs tels que la qualité de l'eau, de l'air, la liberté, la sécurité, et un accent sur la culture et l'éducation. Ces éléments qualitatifs sont souvent ignorés par le PIB et la croissance actuelle. Cette nouvelle économie repose sur des hypothèses et des bases différentes, dans un cadre plus holistique.
Quels sont les principaux enjeux auxquels nous devons faire face ?
L'enjeu majeur reste celui du vivant. Nous devons être dans une atmosphère dynamique, bienveillante, humaine, et respectueuse du vivant. Les limites planétaires sont cruciales, et nous devons repenser et réinventer notre système monétaire, notre système alimentaire, et adopter un nouveau modèle de société. Cette transformation nécessite également une réflexion profonde sur nos valeurs et la manière dont nous interagissons avec notre environnement et les autres.
Comment envisagez-vous la transformation des entreprises dans ce nouveau cadre ?
Les entreprises doivent s'orienter vers des finalités plus sociétales, environnementales, et sociales, mettant au même niveau les enjeux économiques et ces autres enjeux. La dynamique RSE gagne en importance, tout comme les entreprises à mission et les Benefit Corporations. Ces entreprises intègrent dans leur statut la volonté d'aller vers une dynamique sociétale et environnementale, au-delà de l'aspect lucratif.
Quel est le rôle de la dimension spirituelle dans cette vision ?
La dimension spirituelle est fondamentale. Nous devons nous reconnecter avec cette dimension éthique et morale, souvent négligée au profit d'une vision uniquement scientifique et rationnelle. Il est crucial de réfléchir à ce qui est bien, juste, et éthique, et de s'orienter vers des technologies et des pratiques qui favorisent un avenir durable et respectueux.
Observez-vous des manifestations concrètes de ce changement de paradigme ?
Oui, on observe des changements au niveau économique, avec des entreprises qui adoptent de nouveaux modèles économiques, comme l'économie circulaire, l'économie de la fonctionnalité, et l'économie régénérative. On voit également une évolution dans le mode d'organisation des entreprises, qui deviennent moins pyramidales et plus orientées vers la confiance, l'intelligence collective, et l'innovation ouverte. Le rôle de la monnaie évolue également, avec un intérêt croissant pour les monnaies locales et la finance solidaire.
Outre les entreprises, quels autres acteurs contribuent à ce changement ?
Les changements se manifestent à tous les niveaux : des organisations internationales aux collectivités territoriales, des entreprises aux citoyens. Ces derniers, en particulier, sont moteurs de ce changement, que ce soit par leur engagement dans des associations, des pétitions, ou par des changements de comportement au quotidien, comme l'achat de seconde main ou la recherche de métiers porteurs de sens.
Propos recueillis le 20 novembre 2023