Philippe Meloni est un des co-fondateurs du Mouvement Localiste du Québec.
Quelle est l'origine du Mouvement Localiste du Québec ?
L'origine du mouvement provient de l'idée de trois personnes : Marylaine Bélair, Bernard Massie et moi-même. Nous faisions tous partie du Parti conservateur du Québec lors de la précédente élection provinciale, sous la direction d'Eric Duhaime. Rapidement montés en grade, nous nous sommes rendu compte que notre rôle se limitait à celui de collecteurs de votes, sans réelle possibilité d'initier des changements.
Face à cette impasse, nous avons décidé de démissionner publiquement et en commun. Nous avons expliqué les raisons de notre départ, en affirmant que nous quittions le Parti conservateur, mais pas la politique, car nous restions convaincus de l'importance de notre engagement. La politique façonne la vie de la Cité, bien que certains termes aient été galvaudés récemment.
Je tiens particulièrement au terme "liberté", un concept essentiel de la condition humaine qui a été régulièrement dénigré par les autorités, de concert avec les médias. C’est d’autant plus préoccupant et insultant, surtout lorsqu’on pense à tous ceux qui sont morts pour cette idée. Au Parti Conservateur, certains suggéraient d'éviter ce terme, car il serait devenu trop chargé. Je refuse cette posture de repli, car la liberté transcende, elle est plus grande que nous tous et doit être préservée. Il en va de même pour la politique.
Aujourd'hui, la politique est souvent associée à des connotations négatives, mais elle demeure essentielle au fonctionnement de la société. Nous nous sommes donc demandé comment redonner un sens à la politique. Notre conclusion était que le changement ne pouvait pas venir d'en haut. Ayant travaillé dans plusieurs sous-comités du parti, notamment ceux axés sur les villes et les municipalités, j'ai rapidement perçu que la démocratie s'érodait au niveau local : les maires, réduits à des figures de proue des MRC, sont devenus impuissants, leurs rôles se limitant à appliquer des décisions prises ailleurs que dans leurs communautés.
Nous avons alors envisagé de revitaliser l'engagement local. Si les citoyens comprennent et s'engagent dans ce qui se passe localement, nous croyons qu'ils pourront initier un changement. Ainsi est née l'idée de créer un mouvement localiste, convaincus que les solutions doivent émerger de la base, impulsées par ceux qui vivent les réalités du quotidien et non dictées du sommet.
Opposez-vous le localisme au mondialisme ?
Absolument. Le mondialisme consiste essentiellement à imposer des décisions prises en haut, appliquées uniformément à tous, sans tenir compte des particularités locales. Par exemple, si une décision centralisée interdit l'utilisation de conteneurs comme logements dans les villages, cette règle s'applique partout, indépendamment des besoins ou désirs locaux. En revanche, chaque village a ses propres aspirations, pouvant différer radicalement de celles d'un autre.
Le mondialisme dicte de haut en bas, tandis que le localisme opère dans le sens inverse. Le localisme repose sur un principe que je trouve fondamental : la subsidiarité. Ce concept, ancien comme l'Église catholique, a émergé à une époque où communiquer avec le Vatican depuis un coin reculé du Canada prenait jusqu'à six mois. Avec de tels délais, il était impératif que les décisions soient prises au niveau le plus proche des concernés.
La subsidiarité implique que les décisions doivent être prises au niveau le plus bas, par ceux directement impactés. Si une affaire me concerne uniquement, c'est à moi de décider. Pourquoi la municipalité devrait-elle intervenir dans des décisions qui n'affectent que mon environnement personnel ? Cependant, si mes choix impactent le village, comme l'esthétique d'une construction dans un centre villageois touristique, alors c'est à l'échelle du village que la décision doit être prise.
Si le sujet concerne le drainage, cela peut affecter toute une région hydrographique, même si celle-ci englobe plusieurs villages. Ainsi, la subsidiarité dicte que les décisions soient prises au niveau approprié par les parties concernées. Ce principe a non seulement été adopté par l'Église, mais est également pleinement intégré dans la structure de la Suisse. Là-bas, beaucoup ignorent même le nom du ministre de l'Économie, car, pour eux, il s'agit simplement de l’exécutant des décisions prises par les citoyens.
Notre objectif est de promouvoir et de mettre en pratique la subsidiarité. C'est un concept méconnu, ce qui est avantageux pour piquer la curiosité, car il n'existe pas de préjugés contre lui. Mon expérience montre que lorsque j'explique ce principe, il est très largement compris et apprécié. Des jeunes aux anciens, de gauche à droite, tous reconnaissent son sens. Pourquoi quelqu'un dans un gratte-ciel à l'autre bout du monde devrait-il décider de ce qui est mieux pour nous ? Il ne connaît pas notre réalité.
Pourquoi ne pas avoir créé un nouveau parti politique ?
Personnellement, j'accorde beaucoup d'importance aux définitions, car elles fondent notre compréhension des concepts. Laissez-moi expliquer pourquoi c'est crucial : ces dernières années, nous avons souvent été amenés à accepter certaines définitions, pour ensuite découvrir qu'elles avaient été modifiées sans notre accord.
Prenons l'exemple de l'avortement pour illustrer un de ces glissements insidieux. Si vous demandez à la personne moyenne ce qu'est l'avortement, elle vous parlera d'une interruption volontaire de grossesse. La perception de son acceptabilité ou non n'est cependant pas aussi claire quant à sa survenue, dans les premières semaines ou les premiers mois de la grossesse, et voilà que le débat devient beaucoup plus complexe. Au Québec, maintenant, la loi permet l'avortement jusqu'au jour précédant la naissance, ce que plusieurs considéreraient pourtant comme un acte plus grave. Malgré cela, si vous vous positionnez en faveur de l'avortement, vous êtes considéré comme étant du "bon côté" des idées en vigueur, si vous vous positionnez à l’encontre, vous êtes considéré rétrograde.
Ces modifications des définitions légales qui organisent notre vivre-ensemble se produisent souvent lentement, par petites touches, à l’insu des gens. Elles influencent pourtant grandement notre manière de voir les choses, d’en nuancer la portée morale et notre capacité d’en discuter entre nous. C'est pour cela que nous avons pour projet de fixer clairement sur notre site web les définitions de certains des termes que nous utilisons dans nos discussions. Nous commencerons par y définir le terme "subsidiarité", qui est central à notre philosophie.
Parlant de définitions, comparons celles d'un parti politique et d'un mouvement politique. Le but principal d'un parti est d'obtenir des élus, tandis que celui d'un mouvement est de développer et de diffuser des idées. Créer un parti uniquement dans le but d'obtenir des élus est, à mon sens, inutile. Pourquoi élire pour élire ? Notre approche initiale est donc de nourrir et de soutenir un mouvement de fond, pour éclaircir des idées, élaborer des pistes d’action concrètes et cohérentes et rassembler les personnes autour de celles-ci, sans l'objectif immédiat d'obtenir des positions officielles dans l’appareil étatique.
Éventuellement, un parti localiste pourrait émerger de notre travail, mais il restera toujours soumis aux principes du mouvement. Ce mouvement n'appartient à personne; il appartient à la société, il est issu de préoccupations communes. Notre rôle est de maintenir sa structure et son sens. Si un jour un parti politique souhaite adopter le localisme et nos valeurs dans sa plateforme électorale, nous le soutiendrons, tant que les actions suivent les paroles.
Ce mouvement est fait pour durer et représente plus qu'une simple stratégie politique; il incarne une nouvelle façon de penser.
Quelle est la gouvernance du mouvement ?
Nous avons initié notre mouvement avec l’objectif de former un groupe de douze personnes venant de différents horizons politiques, incluant des membres du Parti Conservateur et des anciens de Québec Solidaire. Notre objectif est de répondre aux besoins spécifiques de chaque communauté. Que ce soit une ville désirant adopter les principes de QS, du Parti Conservateur ou du Parti Libéral, nous sommes ouverts à toutes ces possibilités. Ces initiatives locales ne doivent pas s'appuyer sur les ressources d'autres régions et doivent respecter les principes de la subsidiarité.
Ce groupe, que j'ai comparé aux chevaliers de la Table ronde, tend à fonctionner sur un principe d'unanimité. Si un membre venait à bloquer les avancées du groupe, il faudrait l'accord de tous les autres membres pour en changer. Ce système garantit que les valeurs et principes que nous avons établis sont observés. Le rôle principal de ces douze personnes sera de veiller à ce que nos valeurs fondamentales de subsidiarité et de localisme soient constamment respectées, adaptées en fonction des discussions et des besoins émergents.
Nous visons à ce que notre groupe maintienne une dynamique où chacun participe activement et joyeusement à l'évolution du mouvement, tout en veillant à la préservation des principes établis. Le groupe est ouvert à l'évolution, permettant à de nouvelles idées de prendre forme, tant qu'elles respectent les valeurs fondatrices. Ce conseil de douze membres est conçu pour se renouveler avec le temps, assurant ainsi la pérennité et la réactivité du mouvement face aux changements.
Comment cette gouvernance va-t-elle se traduire à l’échelle de la province ?
Nous nous engageons à appliquer ce que nous prônons, donc nous allons mettre en pratique le principe de subsidiarité. Cela signifie que chaque région peut développer ce qu'elle souhaite, à condition que cela soit en accord mutuel et en conformité avec les valeurs de notre système. Si quelqu'un estime que les actions ne reflètent pas ces valeurs, nous croyons que le référendum d'initiative citoyenne représente une solution efficace pour réaffirmer le pouvoir des citoyens. Dans notre mouvement, il sera possible d'organiser un référendum d'initiative localiste, permettant aux membres d'exprimer leur désaccord ou de signaler une direction qui leur semble inappropriée.
Le localisme nous enseigne à renouer avec le travail collaboratif et le dialogue. Les décisions doivent être prises au niveau le plus bas possible, respectant ainsi les grands principes de gouvernance que nous appliquerions même si nous étions une entité étatique. Par exemple, si une proposition semble encourager une centralisation excessive, nous la rejetterons, car nous favorisons la décentralisation plutôt que la concentration des pouvoirs.
Si une proposition implique que les citoyens ne sont pas capables de prendre leurs propres décisions, nous la rejetterons également. Nous n’adhérons pas à l'idée qu’un gouvernement central peut décider pour tous.
En conclusion, un de nos principaux objectifs est de promouvoir une participation citoyenne active et sincère au sein de la communauté. Cela implique d'encourager chaque citoyen à prendre part activement aux décisions qui affectent sa vie quotidienne.
Quelles actions concrètes envisagez-vous ?
Tout d'abord, je tiens à préciser que ce que je vais dire représente mon opinion personnelle et non celle du groupe entier. Bien que nous n'ayons pas encore mis en place de structure solide, chacun de nous a le droit d'avoir ses propres idées. Ainsi, les idées que je présente ici ne reflètent pas nécessairement celles du groupe. Plusieurs personnes m'ont déjà contacté pour discuter de divers projets, notamment pour des candidatures à la mairie, afin d'observer de plus près ce qui s'y passe.
Lorsqu'on assiste à l’assemblée d’un conseil municipal, les décisions y sont souvent prises et entérinées sans véritable interaction avec le public. On ne nous demande pas si nous sommes d'accord, mais plutôt si nous comprenons ce qui a été décidé. Cela m'amène à penser que nous pourrions initier un changement en encourageant une approche plus participative dans la gestion locale. Par exemple, si j’étais élu maire, je m'engagerais à organiser des sessions semestrielles ouvertes où les citoyens pourraient discuter et réfléchir avec nous sur le budget et sur les projets en cours. Cela permettrait à chacun d'exprimer ses préoccupations, par exemple sur les coûts qu'ils ne peuvent plus supporter, et de trouver un terrain d'entente malgré des intérêts divergents. Cette démarche favoriserait une compréhension plus profonde des raisons pour lesquelles les citoyens paient des taxes et des impôts, puisqu'ils auraient participé aux décisions concernant les projets financés.
Au fil de ma campagne électorale provinciale, j'ai observé une baisse de la participation électorale, ce qui, en un sens, m’apparaît compréhensible. Rarement les élus respectent pleinement leurs promesses de campagne et, souvent, les électeurs se retrouvent à voter pour des candidats dont les belles paroles ne se concrétisent pas après les élections.
Nous devons reconnaître que si nous voulons une véritable démocratie, cela ne peut pas fonctionner à l'échelle provinciale ou nationale de la même manière qu'au niveau local, où les interactions sont plus directes et humaines. Dans un cadre local, nous pouvons réellement discuter et décider ensemble des services nécessaires et de la manière dont nos fonds sont alloués, comme dans une famille qui doit ajuster son budget lorsqu'elle traverse des périodes financières difficiles.
Je propose donc de réduire les budgets inutiles et de concentrer les ressources sur ce qui est essentiel. Plus les gens seront impliqués dans ces décisions, plus ils comprendront l'importance de leur vote et seront motivés à participer activement à la vie démocratique de leur communauté. C'est là mon pari pour renouveler l'intérêt pour le processus électoral et renforcer le tissu démocratique de notre société.
Quelles sont vos prochaines étapes ?
Nous sommes actuellement en train de compléter notre groupe de douze membres. Ce processus est crucial pour nous, car il représente la base sur laquelle nous allons édifier la structure de notre mouvement. En parallèle, nous travaillons sur la rédaction des statuts de notre organisation à but non lucratif (OBNL). Ce travail, bien que complexe, est essentiel, car il nous fournira le cadre nécessaire pour nos activités.
Par ailleurs, nous multiplions les rencontres sur le terrain pour écouter les aspirations des gens et commencer à tisser des liens avec eux et entre eux. J'ai eu des échanges avec plusieurs individus de différentes régions, qui m'ont confié que les enjeux que nous abordons résonnent profondément avec leurs propres expériences. Ils luttent contre les mêmes problèmes que ceux que nous cherchons à juguler. Notre objectif est donc de créer des connexions entre ces personnes afin que chacun puisse bénéficier des expériences des autres. Pour l'heure, le noyau central sert d'interface plutôt organique, en présence, entre certains acteurs déjà à l'œuvre dans leurs régions. Nous envisageons de développer notre site web pour qu’y soient facilités les échanges à l’échelle de la province. Vu l'ampleur de la tâche, nous prévoyons structurer notre mouvement en formant des sous-comités. Ces structures aideront à répartir le travail et à maximiser les interactions, permettant ainsi aux bonnes comme aux mauvaises idées de circuler pour que nous puissions apprendre les uns des autres et éviter de répéter les mêmes erreurs.
Quels sont vos besoins ?
Nous avons divers besoins à court terme, notamment dans les domaines du développement web et de la conception graphique. Actuellement, notre site est volontairement en noir et blanc, pour souligner que notre identité visuelle n'est pas encore définie. Nous n'avons pas encore de logo et nous voulons créer une image qui nous représente adéquatement, sachant que nous allons vivre avec cette identité visuelle pendant longtemps. Comme personne parmi le groupe initial n'est spécialisé dans ce domaine, nous souhaitons le faire correctement. Ainsi, nous invitons toute personne ayant des compétences en design graphique et en création de sites web à nous rejoindre et contribuer à ce projet.
Nous avons déjà reçu des propositions et des demandes de soutien de personnes souhaitant agir dans leurs localités. Bien que nous n'ayons pas de solutions toutes faites à tous les problèmes, nous nous engageons à écouter, à remonter les informations et à tisser des liens entre les personnes partageant des idées similaires à travers la province.
Notre rôle est de servir d'interface sur les plans civique et politique, facilitant ainsi la cohérence entre diverses initiatives. Notre démarche de mise en commun des forces et des talents est donc alignée avec celle de Discernaction bien que vous opériez à une échelle plus large. C’est un grand honneur de travailler de concert avec vous et je voudrais vous remercier de cette plate-forme qui nous permet de continuer à nous définir et à nous organiser.
Propos recueillis le 7 mai 2024.
Site internet du Mouvement Localiste du Québec