Pierre Martineau est le président et fondateur de REDECOL, une association française fondée en 2021 permettant la mise en relation de parents, enseignants, porteurs de projets, financiers et propriétaires de locaux afin de favoriser la création d’écoles libres.
Quels ont été les éléments déclencheurs pour la création de votre initiative ?
Il y a un élément intrinsèque à la situation de l'éducation et puis des facteurs récents.
Les éléments intrinsèques à la situation de l'éducation sont qu'aujourd'hui l'Éducation Nationale en France ne sait pas répondre ou prendre en charge tous les types d'enfants qu'elle rencontre. Elle a beaucoup standardisé sa manière de faire et est de moins en moins à l'écoute de ce qui se passe sur le terrain. Donc cela donne un gros décalage entre les attentes du terrain et les mesures qui peuvent être prises au niveau de l'éducation. Je l'ai expérimenté avec mon entourage qui est dans le monde de l'éducation. Ce sont des éléments qui ressortent très régulièrement quand on parle avec les personnes qui sont dans l'enseignement.
L’autre élément déclencheur est la crise sanitaire durant laquelle il y a eu de nombreuses injonctions très descendantes et assez peu d'écoute du terrain pour voir comment les gens vivaient la situation. Quand je dis les gens, ce sont les parents, les enfants et le corps enseignant. Cela a créé cette envie de proposer des solutions alternatives d'éducation, donc d'écoles, pour vraiment diversifier l'offre éducative et être moins tributaire d'une seule façon de faire l'éducation qui est très dominante en France.
Quels sont les services offerts par REDECOL ?
Les services sont de deux natures.
Nous avons été créés en 2021 et nous avons accompagné plusieurs créations d'écoles. Nous avons aussi côtoyé des personnes qui faisaient déjà cela avant. À ce titre nous connaissons les étapes et savons ce qui peut bloquer des projets. Il s’agit de former les porteurs de projet et les accompagner dans la durée, c'est-à-dire de les suivre depuis l'idée de l'école jusqu'à son ouverture.
Le deuxième service, qui est encore au stade embryonnaire, est de mutualiser les services, d'avoir des services administratifs ou comptables qui soient à la disposition des écoles alternatives.
Il s’agit de standardiser un peu les manières de faire pour simplifier les démarches et éviter que chaque créateur recréé tout à partir de rien. L'idée est de pouvoir proposer des services mutualisés, moyennant une contribution nécessaire pour faire vivre notre association.
En quoi les écoles REDECOL se distinguent-elles des approches de type Waldorf ou Montessori ?
L'approche de REDECOL n'est pas de promouvoir une pédagogie particulière. Waldorf, Montessori, Freinet ou même de la pédagogie plus classique, c'est le porteur de projet qui généralement a le souhait de déployer une ou plusieurs pédagogies.
On remarque malgré tout avec les personnes qui nous contactent une tendance à déployer plusieurs pédagogies plutôt qu'une seule. Souvent les écoles Montessori, par exemple, ont leur propre réseau, Freinet aussi, donc ces gens-là ne viennent pas naturellement vers REDECOL.
L'idée n'est pas de faire de l'ingérence sur la partie pédagogique, mais de laisser la possibilité d'expérimenter et pourquoi ne pas même jongler avec plusieurs pédagogies. Ce qui nous intéresse est le cadre légal et l'évolution des enfants. C'est le seul point sur lequel nous portons une attention. Le comment et par quel moyen est à l'initiative des écoles.
Des écoles REDECOL sont-elles déjà opérationnelles ?
Oui, nous avons accompagné des écoles, mais avec les aléas de la création, certaines écoles sont sorties du réseau et d'autres ont bien fonctionné. Nous avons une école témoin à Chadrac près du Puy-en-Velay avec laquelle nous avons bien abouti. Nous avons également des projets en cours de création avec quatre écoles, notamment en Normandie, qui ouvriront dans les années qui viennent.
Généralement, ce sont des porteurs de projets qui souhaitent avoir des petites classes multiniveaux avec un effectif de 15 élèves, un enseignant et parfois des assistants pour une école qui démarre. Ensuite c’est à la charge de l'école de se développer si elle le souhaite. Cela correspond à notre philosophie de permettre à des petits projets de voir le jour.
Les écoles REDECOL bénéficient-elles d’aides de l’État ?
Concernant les aides publiques, c’est le cadre français qui est déterminant. Pour avoir des écoles avec des offres pédagogiques différentes de l’Éducation Nationale, c'est très compliqué de le faire dans le cadre de l'école publique ou dans le cadre de l'école privée sous contrat. Donc nous avons des écoles hors contrat. Une école hors contrat est une école privée qui n'est pas en contrat avec l'État et qui s'engage sur le respect de ce qu'on appelle un socle commun, donc une acquisition de compétences, mais qui n'a pas à suivre un programme. Nous devons simplement nous assurer que les compétences soient acquises au fur et à mesure par les élèves, mais nous pouvons déployer les moyens que nous souhaitons pour y arriver, c'est ce qui nous intéresse dans l'offre des écoles que l'on qualifie en France d'écoles alternatives.
REDECOL est-elle adaptée pour les familles faisant l’école à la maison ?
Des familles qui faisaient de l'école à la maison se posent souvent la question d'aller vers une école alternative. Mais ce ne sont pas les mêmes enjeux. Une école doit rester une école, c'est à dire ouverte à différents publics, là où l'école à la maison est souvent orientée vers les besoins de nos propres enfants. Ce sont des aspects que nous évoquons dans notre accompagnement à savoir que nous ne faisons pas une école uniquement pour nos propres enfants, mais bien une école avec une dimension sociale. Il est important pour nous de valider la volonté réelle de ces parents de faire une école. Parce qu'il y a très de fortes chances que l'école ne fonctionne pas bien une fois les enfants de la famille partis si le but est uniquement de faire une école pour ses propres enfants.
Pourquoi les parents et les enseignants font-ils le choix de REDECOL ?
Du côté des parents, ce sont souvent leurs enfants qui ne se sont pas adaptés au cadre classique de l'Éducation Nationale. Ils ont essayé de faire une scolarité un peu au forceps, qui n'a pas bien fonctionné et ils ont soif d'autres solutions. Aujourd'hui, les professionnels de l'éducation savent que l'école publique n'a pas la capacité d’intégrer tous les profils d'enfants dans son cursus.
Du côté des enseignants, ce sont plutôt les modalités de management et d'éducation qui font qu'ils se posent ce genre de questions. Il y a dans le corps enseignant des personnes qui essayent de proposer des changements et qui souhaitent gagner un peu en liberté pédagogique. Elles ont l'impression qu'elles pourraient apporter plus à des enfants, mais ne peuvent pas à cause du cadre administratif. Souvent elles essayent d'abord de transformer les choses de l'intérieur. C'est un petit peu fatiguées de ces efforts qu'elles se disent qu'il faudrait proposer des écoles alternatives en dehors du système classique.
Quelles sont les prochaines étapes de développement de REDECOL ?
Nous allons stabiliser notre structure. Nous sommes encore très petits et fragiles. Tous les soutiens sont bienvenus, qu’ils soient bénévoles ou financiers. Nous allons continuer à ouvrir des écoles. Nous sommes en perpétuelle interrogation sur notre offre et comment coller aux besoins du terrain. Nous n’allons pas brûler les étapes et continuer à accompagner les gens qui se présentent à nous. Nous ne faisons pas de grosses prospections pour de nouveaux projets, car nous ne pouvons pas intégrer de nombreux de projets d'un seul coup, cependant nous nous développons progressivement et continuons à affiner notre accompagnement. Il n’y a pas d'urgence à être directement une structure nationale avec des centaines d'écoles, mais plutôt la nécessité d’avoir une bonne assise afin de le devenir dans les prochaines années.
Propos recueillis le 2 novembre 2023